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RACINE ET SHAKSPEARE

ouvrage qui compte plus de deux volumes, ne trouvera jamais de lecteurs.

Au reste, monsieur, les Romantiques ne

    aux aguets, toujours en proie à une émotion fugitive, toujours incapables d’un sentiment profond. Ils ne croient à rien qu’à la mode, mais simulent toutes les convictions, non point par hypocrisie raisonnée comme le cant des hautes classes anglaises, mais seulement pour bien remplir leur rôle aux yeux du voisin.

    Le major Bridgenort de Pévéril du Peak, dont le père avait vu Shakspeare, agit avec une bonne foi morose et sombre d’après des principes absurdes ; notre morale est à peu près parfaite, mais en revanche on ne trouve plus de dévouement sans bornes que dans les adresses insérées au Moniteur. Le parisien ne respecte que l’opinion de sa société de tous les jours, il n’est dévoué qu’à son ameublement d’acajou. Pour faire des drames romantiques (adaptés aux besoins de l’époque), il faut donc s’écarter beaucoup de la manière de Shakspeare, et par exemple ne pas tomber dans la tirade chez un peuple qui saisit tout à demi-mot et à ravir, tandis qu’il fallait expliquer les choses longuement et par beaucoup d’images fortes aux Anglais de l’an 1600.

    6o Après avoir pris l’art dans Shakspeare, c’est à Grégoire de Tours, à Froissart, à Tite-Live, à la Bible, aux modernes Hellènes, que nous devons demander des sujets de tragédie. Quel sujet plus beau et plus touchant que la mort de Jésus ? Pourquoi n’a-t-on pas découvert les manuscrits de Sophocle et d’Homère seulement en l’an 1600, après la civilisation du siècle de Léon X ?

    Madame du Hausset, Saint-Simon, Gourville, Dangeau, Bézenval, les Congrès, le Fanar de Constantinople, les histoires des Conclaves recueillies par Gregorio Leti, nous donneront cent sujets de comédie.

    7o On nous dit : le vers est le beau idéal de l’expression ; une pensée étant donnée, le vers est la manière la plus belle de la rendre, la manière dont elle fera le plus d’effet.

    Oui, pour la satire, pour l’épigramme, pour la comédie satirique, pour le poëme épique, pour la tragédie mythologique telle que Phèdre, Iphigénie, etc.

    Non, dès qu’il s’agit de cette tragédie qui tire ses effets de la peinture exacte des mouvements de l’âme et des incidents de la vie des modernes. La pensée ou le sentiment