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désertion, et finit par pleurer à chaudes larmes.

« J’ai mal conduit toute ma vie, répéta-t-il plusieurs fois ; je suis dans un bourbier sans issue.

— Soit, mais quelque raison que vous ayez, vous ne pouvez pas déserter au milieu de la bataille, comme les Saxons à Leipzig, cela n’est pas beau, et vous donnerait des remords par la suite, du moins je le crains. Tâchez d’oublier, et surtout pas un mot à M. de Riquebourg, le préfet de Champagnier. »

Après cette belle consolation, il s’établit un silence de deux heures. On avait à faire une poste de six lieues, il faisait froid, il pleuvait un peu, il fallut fermer la calèche. La nuit tombait, le pays qu’on traversait était stérile et plat, pas un arbre. Pendant cette éternelle poste de six lieues, la nuit se fit tout à fait, l’obscurité devint profonde, Coffe voyait Leuwen changer de position toutes les cinq minutes.

« Il se tord comme saint Laurent sur le gril… Il est fâcheux qu’il ne trouve pas de lui-même un remède à sa position… L’homme dans cet état n’est pas poli, se dit Coffe un quart d’heure après… Cependant, ajouta-t-il après un nouveau quart d’heure de réflexions et déductions mathématiques, je lui dois de m’avoir tiré de