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chée que de ce qui se passerait à Nancy.

— J’avouerai mes torts, monsieur ; mais pourtant ce qui m’arrive est flatteur pour vous. Je n’ai en toute ma vie manqué à mes devoirs que pour vous. La cour que vous me faisiez me flattait, m’amusait, mais me semblait absolument sans danger. J’ai été séduite par l’ambition, je l’avoue, et non par l’amour ; mais mon cœur a changé (ici madame Grandet rougit profondément, elle n’osait pas regarder Lucien), j’ai eu le malheur de m’attacher à vous. Peu de jours ont suffi pour changer mon cœur à mon insu. J’ai oublié le juste soin d’élever ma maison, un autre sentiment a dominé ma vie. L’idée de vous perdre, l’idée surtout de n’avoir pas votre estime, est intolérable pour moi… Je suis prête à tout sacrifier pour mériter de nouveau cette estime.

Ici, madame Grandet se cacha de nouveau la figure, et enfin de derrière son mouchoir elle osa dire :

— Je vais rompre avec M. votre père, renoncer aux espérances du ministère, mais ne vous séparez pas de moi.

Et en lui disant ces derniers mots madame Grandet lui tendit la main avec une grâce que Lucien trouva bien extraordinaire.