Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/394

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Parbleu ! madame, pensa Lucien, je n’aurai pas la complaisance de me laisser battre par le vague de vos phrases. »

— Madame, reprit-il avec le plus grand sang-froid, ces sentiments, dont vous me faites l’honneur de vous souvenir, ont été humiliés par un succès qu’ils n’ont pas dû absolument à eux-mêmes. Ils se sont enfuis en rougissant de leur erreur. Avant que de partir, ils ont obtenu la douloureuse certitude qu’ils ne devaient un triomphe apparent qu’à la promesse fort prosaïque d’une présentation pour un ministère. Un cœur qu’ils avaient la présomption, sans doute déplacée, de pouvoir toucher, a cédé tout simplement au calcul d’ambition, et il n’y a eu de tendresse que dans les mots. Enfin, je me suis aperçu tout simplement qu’on me trompait, et c’est un éclaircissement, madame, que mon absence voulait essayer de vous épargner. C’est là ma façon d’être honnête homme.

Madame Grandet ne répondait pas.

« Eh bien ! pensa Lucien, je vais vous ôter tout moyen de ne pas comprendre. »

Il ajouta du même ton :

— Avec quelque fermeté de courage qu’un cœur qui sait aspirer aux hautes positions supporte toutes les douleurs