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« Sortez ! » dit-elle au valet de chambre avec des yeux qui l’atterrèrent.

« Ce petit sot peut se raviser, il va venir dans un quart d’heure, se dit-elle. Il est mieux qu’il voie sa lettre non ouverte. Mais il serait encore mieux, pensa-t-elle après quelques instants, qu’il ne me trouvât pas même chez moi. »

Elle sonna et fit mettre les chevaux. Elle se promenait avec agitation ; le billet de Lucien était sur un petit guéridon à côté de son fauteuil, et à chaque tour elle le regardait malgré elle.

On vint dire que les chevaux étaient mis. Comme le domestique sortait, elle se précipita sur la lettre de Lucien et l’ouvrit avec un mouvement de fureur, et sans s’être pour ainsi dire permis cette action. La jeune femme l’emportait sur la capacité politique[1].

Cette lettre si froide mit madame Grandet absolument hors d’elle-même. Nous ferons observer, pour l’excuser un peu d’une telle faiblesse, qu’à vingt-six ans qu’elle avait elle n’avait jamais aimé. Elle s’était sévèrement interdit même ces amitiés galantes qui peuvent conduire à l’amour. Maintenant, l’amour prenait sa revanche, et depuis dix-huit heures

  1. Exactement la matrice l’emportait sur la tête.