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tant d’estime. Songez à votre avenir. Je croirais bien que vous n’avez pas vingt-cinq ans encore.

— J’en ai vingt-six sonnés.

— Eh bien ! mon fils, sans vouloir médire le moins du monde de la bannière sous laquelle vous combattez et en me réduisant à ce qui est absolument nécessaire pour l’expression de ma pensée, d’ailleurs toute de bienveillance pour vos intérêts dans ce monde et dans l’autre, croyez-vous que cette bannière flottera encore la même dans quatorze ans d’ici, quand vous serez parvenu à quarante ans, à cet âge de maturité qu’un homme sage doit toujours avoir devant les yeux comme le point décisif de la carrière d’un homme, et avant lequel il est bien rare d’entrer dans les grandes affaires de la société ?

Jusqu’à cet âge, le vulgaire des hommes cherche de l’argent. Vous êtes au-dessus de ces considérations. Remarquez que je ne vous entretiens jamais des intérêts de votre âme, tellement supérieurs aux intérêts mondains. Si vous daignez venir revoir un pauvre vieillard, ma porte sera toujours ouverte pour vous. Je quitterai tout pour ramener au bercail un homme de votre importance dans le monde et qui, si jeune, développe une telle maturité de talent ; car moins je partage vos illusions