Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serez de répéter, a dit son fait au préfet et le lui a prouvé. Voyant bien qu’il n’avait aucune influence personnelle, M. de Séranville s’est jeté dans le système des circulaires et des lettres menaçantes aux maires. Selon moi (à la vérité je n’ai jamais administré, je n’ai que commandé, et je me soumets aux lumières des plus expérimentés), mais enfin, selon moi, M. de Séranville, qui écrit fort bien, a abusé de la lettre administrative. Je connais plus de quarante maires, dont je puis fournir la liste au ministre, que ces menaces continuelles ont cabré.

Eh bien ! que peut-il arriver après tout ? disent-ils. Il ratera son élection. Eh bien ! tant mieux : il sera déplacé et nous en serons délivrés. Nous ne pouvons pas avoir pis.

M. Bordier, un maire timide de la grande commune de N…, qui a neuf électeurs, a été tellement épouvanté par les lettres du préfet et la nature des renseignements qu’on lui demandait, qu’il a prétendu avoir la goutte. Depuis cinq jours, il ne sort plus de chez lui, et fait dire qu’il est au lit. Mais dimanche, à six heures du matin, au petit jour, il est sorti pour aller à la messe.

Enfin, dans sa tournée électorale, M. le préfet a fait peur à quinze ou vingt