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et chaque minute était précieuse et pouvait lui donner l’idée d’une réponse. En passant la rue de***, il entra machinalement dans un cabinet de lecture mal éclairé et où il espérait trouver peu de monde. Un domestique rendait un livre à la demoiselle du comptoir ; il lui trouva une mise d’une fraîcheur charmante et de la grâce (Lucien rentrait de province).

Il ouvrit le livre au hasard ; c’était un ennuyeux moraliste qui avait divisé sa drogue par portraits détachés, comme Vauvenargues : Edgar, ou le Parisien de vingt ans.

« Qu’est-ce qu’un jeune homme qui ne connaît pas les hommes ? qui n’a vécu qu’avec des gens polis, ou des subordonnés, ou des gens dont il ne choquait pas les intérêts ? Edgar n’a pour garant de son mérite que les magnifiques promesses qu’il se fait à soi-même. Edgar a reçu l’éducation la plus distinguée, il monte à cheval, il mène admirablement son cabriolet, il a, si vous l’exigez, toute l’instruction de Lagrange, toutes les vertus de Lafayette, qu’importe ! Il n’a point éprouvé l’effet des autres sur lui-même, il n’est sûr de rien ni sur les autres ni, à plus forte raison, sur soi-même. Ce n’est tout au plus qu’un brillant peut-être. Que sait-il au fond ? Monter à cheval,