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l’hôtel de la mole

Au milieu de cette magnificence et de cet ennui, Julien ne s’intéressait à rien qu’à M. de La Mole ; il l’entendit avec plaisir protester un jour qu’il n’était pour rien dans l’avancement de ce pauvre Le Bourguignon. C’était une attention pour la marquise : Julien savait la vérité par l’abbé Pirard.

Un matin que l’abbé travaillait avec Julien, dans la bibliothèque du marquis, à l’éternel procès de Frilair :

— Monsieur, dit Julien tout à coup, dîner tous les jours avec madame la marquise, est-ce un de mes devoirs, ou est-ce une bonté que l’on a pour moi ?

— C’est un honneur insigne ! reprit l’abbé, scandalisé. Jamais M. N… l’académicien, qui, depuis quinze ans, fait une cour assidue, n’a pu l’obtenir pour son neveu M. Tanbeau.

— C’est pour moi, monsieur, la partie la plus pénible de mon emploi. Je m’ennuyais moins au séminaire. Je vois bâiller quelquefois jusqu’à mademoiselle de La Mole, qui pourtant doit être accoutumée à l’amabilité des amis de la maison. J’ai peur de m’endormir. De grâce, obtenez-moi la permission d’aller dîner à quarante sous dans quelque auberge obscure.

L’abbé, véritable parvenu, était fort sensible à l’honneur de dîner avec un