Page:Stendhal - Le Rouge et le Noir, II, 1927, éd. Martineau.djvu/429

Cette page a été validée par deux contributeurs.
428
le rouge et le noir

Enfin, il découvrit que les projets de mademoiselle de La Mole variaient souvent, et, à son grand soulagement, trouva un mot pour blâmer ce caractère si fatigant pour lui : elle était changeante. De cette épithète à celle de mauvaise tête, le plus grand anathème en province, il n’y a qu’un pas.

Il est singulier, se disait Julien, un jour que Mathilde sortait de sa prison, qu’une passion si vive et dont je suis l’objet me laisse tellement insensible ! et je l’adorais il y a deux mois ! J’avais bien lu que l’approche de la mort désintéresse de tout ; mais il est affreux de se sentir ingrat et de ne pouvoir se changer. Je suis donc un égoïste ? Il se faisait à ce sujet les reproches les plus humiliants.

L’ambition était morte en son cœur, une autre passion y était sortie de ses cendres ; il l’appelait le remords d’avoir assassiné madame de Rênal.

Dans le fait, il en était éperdument amoureux. Il trouvait un bonheur singulier quand, laissé absolument seul et sans crainte d’être interrompu, il pouvait se livrer tout entier au souvenir des journées heureuses qu’il avait passées jadis à Verrières ou à Vergy. Les moindres incidents de ces temps trop rapidement envolés avaient pour lui une fraîcheur et un charme