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le rouge et le noir

Julien ne fut plus maître de son transport, il embrassa l’abbé, il se voyait reconnu.

— Fi donc ! dit M. Pirard en le repoussant ; que veut dire cette vanité mondaine ?… Quant à Sorel et à ses fils, je leur offrirai, en mon nom, une pension annuelle de cinq cents francs, qui leur sera payée à chacun, tant que je serai content d’eux.

Julien était déjà froid et hautain. Il remercia, mais en termes très-vagues et n’engageant à rien. Serait-il bien possible, se disait-il, que je fusse le fils naturel de quelque grand seigneur exilé dans nos montagnes par le terrible Napoléon ? À chaque instant cette idée lui semblait moins improbable. Ma haine pour mon père serait une preuve… Je ne serais plus un monstre !

Peu de jours après ce monologue, le quinzième régiment de hussards, l’un des plus brillants de l’armée, était en bataille sur la place d’armes de Strasbourg. M. le chevalier de La Vernaye montait le plus beau cheval de l’Alsace, qui lui avait coûté six mille francs. Il était reçu lieutenant, sans avoir jamais été sous-lieutenant que sur les contrôles d’un régiment dont jamais il n’avait ouï parler.

Son air impassible, ses yeux sévères et