Page:Stendhal - Le Rouge et le Noir, II, 1927, éd. Martineau.djvu/362

Cette page a été validée par deux contributeurs.
361
la lettre d’aveu

duchesse, mon père ; mais je le savais en l’aimant ; car c’est moi qui l’ai aimé la première, c’est moi qui l’ai séduit. Je tiens de vous une âme trop élevée pour arrêter mon attention à ce qui est ou me semble vulgaire. C’est en vain que dans le dessein de vous plaire j’ai songé à M. de Croisenois. Pourquoi aviez-vous placé le vrai mérite sous mes yeux ? vous me l’avez dit vous-même à mon retour d’Hyères : ce jeune Sorel est le seul être qui m’amuse ; le pauvre garçon est aussi affligé que moi, s’il est possible, de la peine que vous fait cette lettre. Je ne puis empêcher que vous ne soyez irrité comme père ; mais aimez-moi toujours comme ami.

« Julien me respectait. S’il me parlait quelquefois, c’était uniquement à cause de sa profonde reconnaissance pour vous : car la hauteur naturelle de son caractère le porte à ne jamais répondre qu’officiellement à tout ce qui est tellement au-dessus de lui. Il a un sentiment vif et inné de la différence des positions sociales. C’est moi, je l’avoue, en rougissant, à mon meilleur ami, et jamais un tel aveu ne sera fait à un autre, c’est moi qui un jour au jardin lui ai serré le bras.

« Après vingt-quatre heures, pourquoi seriez-vous irrité contre lui ? Ma faute est irréparable. Si vous l’exigez, c’est par moi