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le rouge et le noir

dre prononcer son arrêt. Ce mouvement n’échappa point à Julien ; il sentit faiblir son courage.

Ah ! se disait-il en écoutant le son des vaines paroles que prononçait sa bouche, comme il eût fait un bruit étranger ; si je pouvais couvrir de baisers ces joues si pâles, et que tu ne le sentisses pas !

— Je puis avoir de l’amour pour la maréchale, continuait-il… et sa voix s’affaiblissait toujours ; mais certainement, je n’ai de son intérêt pour moi aucune preuve décisive…

Mathilde le regarda ; il soutint ce regard, du moins il espéra que sa physionomie ne l’avait pas trahi. Il se sentait pénétré d’amour jusque dans les replis les plus intimes de son cœur. Jamais il ne l’avait adorée à ce point ; il était presque aussi fou que Mathilde. Si elle se fût trouvée assez de sang-froid et de courage pour manœuvrer, il fût tombé à ses pieds, en abjurant toute vaine comédie. Il eut assez de force pour pouvoir continuer à parler. Ah ! Korasoff, s’écria-t-il intérieurement, que n’êtes vous ici ! quel besoin j’aurais d’un mot pour diriger ma conduite ! Pendant ce temps sa voix disait :

— À défaut de tout autre sentiment, la reconnaissance suffirait pour m’attacher à la maréchale ; elle m’a montré de