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moments cruels

que peut-être il ne l’aimait plus. La fierté a sans doute éteint son amour, se disait-elle. Il n’est pas homme à se voir impunément préférer des êtres comme Caylus, de Luz, Croisenois, qu’il avoue lui être tellement supérieurs. Non, je ne le verrai plus à mes pieds !

Les jours précédents, dans la naïveté de son malheur, Julien lui faisait souvent un éloge sincère des brillantes qualités de ces messieurs ; il allait jusqu’à les exagérer. Cette nuance n’avait point échappé à mademoiselle de La Mole, elle en était étonnée, mais n’en devinait point la cause. L’âme frénétique de Julien, en louant un rival qu’il croyait aimé, sympathisait avec son bonheur.

Son mot si franc, mais si stupide, vint tout changer en un instant : Mathilde, sûre d’être aimée, le méprisa parfaitement.

Elle se promenait avec lui au moment de ce propos maladroit ; elle le quitta, et son dernier regard exprimait le plus affreux mépris. Rentrée au salon, de toute la soirée elle ne le regarda plus. Le lendemain ce mépris occupait tout son cœur ; il n’était plus question du mouvement qui, pendant huit jours, lui avait fait trouver tant de plaisir à traiter Julien comme l’ami le plus intime ; sa vue lui était désagréable. La sensation de Mathilde alla jusqu’au