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mettre. Si elle l’eût pu, elle eût anéanti elle et Julien. Quand par instants la force de sa volonté faisait taire les remords, des sentiments de timidité et de pudeur souffrante la rendaient fort malheureuse. Elle n’avait nullement prévu l’état affreux où elle se trouvait.

Il faut cependant que je lui parle, se dit-elle à la fin, cela est dans les convenances, on parle à son amant. Et alors, pour accomplir un devoir, et avec une tendresse qui était bien plus dans les paroles dont elle se servait que dans le son de sa voix, elle raconta les diverses résolutions qu’elle avait prises à son égard pendant ces derniers jours.

Elle avait décidé que s’il osait arriver chez elle avec le secours de l’échelle du jardinier, ainsi qu’il lui était prescrit, elle serait toute à lui. Mais jamais l’on ne dit d’un ton plus froid et plus poli des choses aussi tendres. Jusque-là ce rendez-vous était glacé. C’était à faire prendre l’amour en haine. Quelle leçon de morale pour une jeune imprudente ! Vaut-il la peine de perdre son avenir pour un tel moment ?

Après de longues incertitudes, qui eussent pu paraître à un observateur superficiel l’effet de la haine la plus décidée, tant les sentiments qu’une femme se doit à elle-même avaient de peine à céder même