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l’ennui

voiture, mes chevaux, mes robes, mon château à vingt lieues de Paris, tout cela sera aussi bien que possible, tout à fait ce qu’il faut pour faire périr d’envie une parvenue, une comtesse de Roiville par exemple ; et après ?…

Mathilde s’ennuyait en espoir. Le marquis de Croisenois parvint à l’approcher, et lui parlait, mais elle rêvait sans l’écouter. Le bruit de ses paroles se confondait pour elle avec le bourdonnement du bal. Elle suivait machinalement de l’œil Julien, qui s’était éloigné d’un air respectueux, mais fier et mécontent. Elle aperçut dans un coin, loin de la foule circulante, le comte Altamira, condamné à mort dans son pays, que le lecteur connaît déjà. Sous Louis XIV, une de ses parentes avait épousé un prince de Conti ; ce souvenir le protégeait un peu contre la police de la congrégation.

Je ne vois que la condamnation à mort qui distingue un homme, pensa Mathilde : c’est la seule chose qui ne s’achète pas.

Ah ! c’est un bon mot que je viens de me dire ! quel dommage qu’il ne soit pas venu de façon à m’en faire honneur ! Mathilde avait trop de goût pour amener dans la conversation un bon mot fait d’avance ; mais elle avait aussi trop de vanité pour ne pas être enchantée d’elle-