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le rouge et le noir

à mille lieues du laisser-aller, sans lequel l’amour n’est souvent que le plus ennuyeux des devoirs.

Je me dois d’autant plus, continua la petite vanité de Julien, de réussir auprès de cette femme, que si jamais je fais fortune, et que quelqu’un me reproche le bas emploi de précepteur, je pourrai faire entendre que l’amour m’avait jeté à cette place.

Julien éloigna de nouveau sa main de celle de madame de Rênal, puis il la reprit en la serrant. Comme on rentrait au salon, vers minuit, madame de Rênal lui dit à demi-voix :

— Vous nous quitterez, vous partirez ?

Julien répondit en soupirant :

— Il faut bien que je parte, car je vous aime avec passion, c’est une faute… et quelle faute pour un jeune prêtre !

Madame de Rênal s’appuya sur son bras, et avec tant d’abandon que sa joue sentit la chaleur de celle de Julien.

Les nuits de ces deux êtres furent bien différentes. Madame de Rênal était exaltée par les transports de la volupté morale la plus élevée. Une jeune fille coquette qui aime de bonne heure s’accoutume au trouble de l’amour ; quand elle arrive à l’âge de la vraie passion, le charme de la nouveauté manque. Comme madame de Rênal