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une soirée à la campagne

de renverser à leurs pieds, fut à peine assise de nouveau, qu’elle lui rendit sa main presque sans difficulté, et comme si déjà c’eût été entre eux une chose convenue.

Minuit était sonné depuis longtemps ; il fallut enfin quitter le jardin : on se sépara. Madame de Rênal, transportée du bonheur d’aimer, était tellement ignorante, qu’elle ne se faisait presque aucun reproche. Le bonheur lui ôtait le sommeil. Un sommeil de plomb s’empara de Julien, mortellement fatigué des combats que toute la journée la timidité et l’orgueil s’étaient livrés dans son cœur.

Le lendemain on le réveilla à cinq heures ; et, ce qui eût été cruel pour madame de Rênal si elle l’eût su, à peine lui donna-t-il une pensée. Il avait fait son devoir, et un devoir héroïque. Rempli de bonheur par ce sentiment, il s’enferma à clef dans sa chambre, et se livra avec un plaisir tout nouveau à la lecture des exploits de son héros.

Quand la cloche du déjeuner se fit entendre, il avait oublié, en lisant les bulletins de la grande armée, tous ses avantages de la veille. Il se dit, d’un ton léger, en descendant au salon : Il faut dire à cette femme que je l’aime.

Au lieu de ces regards chargés de volupté, qu’il s’attendait à rencontrer, il trouva la figure sévère de M. de Rênal, qui, arrivé