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réalité. Une action lui semblait-elle admirable, c’était celle-là précisément qui attirait le blâme des gens qui l’environnaient. Sa réplique intérieure était toujours : Quels monstres ou quels sots ! Le plaisant, avec tant d’orgueil, c’est que souvent il ne comprenait absolument rien à ce dont on parlait.

De la vie, il n’avait parlé avec sincérité qu’au vieux chirurgien-major ; le peu d’idées qu’il avait étaient relatives aux campagnes de Bonaparte en Italie, ou à la chirurgie. Son jeune courage se plaisait au récit circonstancié des opérations les plus douloureuses ; il se disait : Je n’aurais pas sourcillé.

La première fois que madame de Rênal essaya avec lui une conversation étrangère à l’éducation des enfants, il se mit à parler d’opérations chirurgicales ; elle pâlit et le pria de cesser.

Julien ne savait rien au delà. Ainsi, passant sa vie avec madame de Rênal, le silence le plus singulier s’établissait entre eux dès qu’ils étaient seuls. Dans le salon, quelle que fût l’humilité de son maintien, elle trouvait dans ses yeux un air de supériorité intellectuelle envers tout ce qui venait chez elle. Se trouvait-elle seule un instant avec lui, elle le voyait visiblement embarrassé. Elle en était inquiète,