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voulut réparer son imprudence ou du moins éloigner tout ce qui pouvait rappeler Fabrice : elle se jeta dans une description infinie d’un grand jeune homme à cheveux rouges, il avait des yeux bleus ; sans doute c’était quelque Anglais fort riche et fort gauche, ou quelque prince. À ce mot, le comte M***, qui ne brillait pas par la justesse des aperçus, alla se figurer, chose délicieuse pour sa vanité, que ce rival n’était autre que le prince héréditaire de Parme. Ce pauvre jeune homme mélancolique, gardé par cinq ou six gouverneurs, sous-gouverneurs, précepteurs, etc., etc., qui ne le laissaient sortir qu’après avoir tenu conseil, lançait d’étranges regards sur toutes les femmes passables qu’il lui était permis d’approcher. Au concert de la duchesse, son rang l’avait placé en avant de tous les auditeurs, sur un fauteuil isolé, à trois pas de la belle Fausta, et ses regards avaient souverainement choqué le comte M***. Cette folie d’exquise vanité : avoir un prince pour rival, amusa fort la Fausta, qui se fit un plaisir de la confirmer par cent détails naïvement donnés.

— Votre race, disait-elle au comte, est aussi ancienne que celle des Farnèse à laquelle appartient ce jeune homme ?

— Que voulez-vous dire ? aussi ancienne ! Moi je n’ai point de bâtardise dans ma famille[1].

  1. Pierre-Louis, le premier souverain de la famille Farnèse, si