Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 1), 1883.djvu/28

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— XXII —

Aussi son style est-il le plus souvent sec, composé de petites phrases brèves et incolores. D’autres fois il s’embarque dans des périodes dont il ne peut plus sortir ; il les enchevêtre de qui et de que d’où l’on ne se démêle pas plus que lui. S’il a besoin dix fois du même mot, il le répète dix fois sans scrupule, et ce n’est presque jamais un mot qui peigne. Il y a pourtant, surtout dans la première partie, de jolies descriptions de paysages ; les vues du lac de Côme et des environs sont charmantes ; mais le trait est toujours chez lui trop précis et trop sec ; la couleur n’y est pas. Stendhal avait plus de sensibilité que d’imagination.

C’est une grosse question de savoir si un livre où le style manque est fait pour durer.

Hippocrate dit : oui, et Galien dit : non.

Et moi, comme le personnage de Molière, je ne dirais ni oui, ni non. Je sais un livre qui a déjà traversé un siècle et demi et qui est tout simplement d’une bonne langue courante : c’est Manon Lescaut. Il est probable que nos arrière-neveux le liront encore et avec grand plaisir. Pourquoi ? C’est que l’abbé Prévost a peint la courtisane dans une courtisane. Il a créé un type. Stendhal a aussi ce suprême honneur d’avoir créé et mis au monde des êtres vivants, qui nous