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épique : où trouver des couleurs pour peindre les torrents d’indignation qui tout à coup submergèrent tous les cœurs bien pensants, lorsqu’on apprit l’effroyable insolence de cette illumination du château de Sacca ? Il n’y eut qu’un cri contre la duchesse ; même les libéraux véritables trouvèrent que c’était compromettre d’une façon barbare les pauvres suspects retenus dans les diverses prisons, et exaspérer inutilement le cœur du souverain. Le comte Mosca déclara qu’il ne restait plus qu’une ressource aux anciens amis de la duchesse, c’était de l’oublier. Le concert d’exécration fut donc unanime ; un étranger passant par la ville eût été frappé de l’énergie de l’opinion publique. Mais en ce pays où l’on sait apprécier le plaisir de la vengeance, l’illumination de Sacca et la fête admirable donnée dans le parc à plus de six mille paysans eurent un immense succès. Tout le monde répétait à Parme que la duchesse avait fait distribuer mille sequins à ses paysans ; on expliquait ainsi l’accueil un peu dur fait à une trentaine de gendarmes que la police avait eu la nigauderie d’envoyer dans ce petit village, trente-six heures après la soirée sublime et l’ivresse générale qui l’avait suivie. Les gendarmes, accueillis à coups de pierres, avaient pris la fuite, et deux d’entre eux,