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se disait la duchesse avec une tristesse sombre. Le chagrin m’a vieillie, ou bien il aime réellement, et je n’ai plus que la seconde place dans son cœur. Avilie, atterrée par ce plus grand des chagrins possibles, la duchesse se disait quelquefois : Si le ciel voulait que Ferrante fût devenu tout à fait fou ou manquât de courage, il me semble que je serais moins malheureuse. Dès ce moment ce demi-remords empoisonna l’estime que la duchesse avait pour son propre caractère. Ainsi, se disait-elle avec amertume, je me repens d’une résolution prise : Je ne suis donc plus une del Dongo !

Le ciel l’a voulu, reprenait-elle ; Fabrice est amoureux, et de quel droit voudrais-je qu’il ne fût pas amoureux ? Une seule parole d’amour véritable a-t-elle jamais été échangée entre nous ?

Cette idée si raisonnable lui ôta le sommeil et enfin ce qui montrait que la vieillesse et l’affaiblissement de l’âme étaient arrivées pour elle avec la perspective d’une illustre vengeance, elle était cent fois plus malheureuse à Belgirate qu’à Parme. Quant à la personne qui pouvait causer l’étrange rêverie de Fabrice, il n’était guère possible d’avoir des doutes raisonnables : Clélia Conti, cette fille si pieuse, avait trahi son père puisqu’elle