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et n’est-on pas trop certain d’amener ce désespoir par la mort d’un jeune prisonnier ? Ce mot seul, qui est sans réponse, doit vous faire juger de votre situation. Vous dites que vous avez de l’amitié pour moi : songez d’abord que des obstacles insurmontables s’opposent à ce que ce sentiment prenne jamais une certaine fixité entre nous. Nous nous serons rencontrés dans notre jeunesse, nous nous serons tendu une main secourable dans une période malheureuse ; le destin m’aura placé en ce lieu de sévérité pour adoucir vos peines, mais je me ferais des reproches éternels si des illusions, que rien n’autorise et n’autorisera jamais, vous portaient à ne pas saisir toutes les occasions possibles de soustraire votre vie à un si affreux péril. J’ai perdu la paix de l’âme par la cruelle imprudence que j’ai commise en échangeant avec vous quelques signes de bonne amitié : Si nos jeux d’enfant, avec des alphabets, vous conduisent à des illusions si peu fondées et qui peuvent vous être si fatales, ce serait en vain que pour me justifier je me rappellerais la tentative de Barbone. Je vous aurais jeté moi-même dans un péril bien plus affreux, bien plus certain, en croyant vous soustraire à un danger du moment ; et mes imprudences sont à jamais impardonnables si elles ont