Page:Stendhal - De l’amour, II, 1927, éd. Martineau.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son salon ; elle n’était pas bien sûre que les autres ne se moquaient pas un peu d’elle. Le mari, tenu sans cesse hors de chez lui par ses affaires et d’ailleurs un bon homme, What then (que m’importe ?), ne s’apercevait pas, ou ne s’occupait en rien de ces coquetteries d’esprit.

Félicie lut la Nouvelle Héloïse. Elle trouva alors qu’il y avait dans son âme des trésors de sensibilité ; elle confia ce secret à sa mère et à un vieil oncle qui lui avait servi de père ; ils se moquèrent d’elle comme d’un enfant. Elle n’en persista pas moins à trouver qu’on ne pouvait vivre sans un amant, et sans un amant dans le genre de Saint-Preux.

Il y avait dans sa société un jeune Suédois, qui est un homme assez bizarre. En sortant de l’Université, quand il n’avait que dix-huit ans, il fit plusieurs actions d’éclat dans la campagne de 1812, et il obtint un grade élevé dans les milices de son pays ; ensuite il partit pour l’Amérique et vécut six mois parmi les Indiens. Il n’est ni bête, ni spirituel ; mais il a un grand caractère ; il a quelques côtés sublimes de vertu et de grandeur. D’ailleurs, l’homme le plus lymphatique que j’aie connu ; avec une assez belle figure, des manières simples, mais prodigieusement graves. De là, de grandes démonstrations