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DE L’AMOUR

chambre allait prendre dans la bibliothèque la collection des Moniteurs du mois : « Mais, curé, dit le comte, vous n’êtes plus curieux cette année, voilà la première fois que vous me demandez le Moniteur ! — Monsieur le comte, répondit le curé, madame Dayssin, ma voisine, me l’a prêté tant qu’elle a été ici ; mais elle est partie depuis quinze jours. »

Ce mot si indifférent causa une telle révolution à Ernestine, qu’elle crut se trouver mal ; elle sentit son cœur tressaillir au mot du curé, ce qui l’humilia beaucoup. « Voilà donc, se dit-elle, comment je suis parvenue à l’oublier ! »

Ce soir-là, pour la première fois depuis longtemps, il lui arriva de sourire. « Pourtant, se disait-elle, il est resté à la campagne, i cent cinquante lieues de Paris, il a laissé madame Dayssin partir seule. » Son immobilité sur les racines du chêne lui revint à l’esprit, et elle souffrit que sa pensée s’arrêtât sur cette idée. Tout son bonheur, depuis un mois, consistait à se persuader qu’elle avait mal à la poitrine ; le lendemain elle se surprit à penser que, comme la neige commençait à couvrir les sommets des montagnes, il faisait souvent très frais ; le soir elle songea qu’il était prudent d’avoir des vêtements plus chauds. Une âme vulgaire n’eût pas manqué de