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DE L’AMOUR

soir, elle se dit : « Il s’éloignera pour toujours, et je ne le verrai plus ! »

Le lendemain, en plein midi, par le soleil du mois d’août, comme elle se promenait avec son oncle sous l’allée de platanes le long du lac, elle voit sur l’autre rive le jeune homme s’approcher du grand chêne ; il saisit son bouquet, le jette dans le lac et disparaît. Ernestine a l’idée qu’il y avait du dépit dans son geste, bientôt elle n’en doute plus. Elle s’étonne d’avoir pu en douter un seul instant ; il est évident que, se voyant méprisé, il va partir ; jamais elle ne le reverra.

Ce jour-là on est fort inquiet au château, où elle seule répand quelque gaieté. Son oncle prononce qu’elle est décidément indisposée ; une pâleur mortelle, une certaine contraction dans les traits, ont bouleversé cette figure naïve, où se peignaient naguère les sensations si tranquilles de la première jeunesse. Le soir, quand l’heure de la promenade est venue, Ernestine ne s’oppose point à ce que son oncle la dirige vers la pelouse au delà du lac. Elle regarde en passant, et d’un œil morne où les larmes sont à peine retenues, la petite cachette à trois pieds au-dessus du sol, bien sûre de n’y rien trouver ; elle a trop bien vu jeter le bouquet dans le lac. Mais, ô surprise ! elle en aperçoit un autre. — « Par pitié