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DE L’AMOUR

S’il a l’habitude de désirer souvent une grande fortune, il aura usé d’avance la jouissance par se la trop figurer.

Ce malheur n’arrive pas dans l’amour-passion.

Une âme enflammée ne se figure pas la dernière des faveurs, mais la plus prochaine. Par exemple d’une maîtresse qui vous traite avec sévérité, l’on se figure un serrement de main. L’imagination ne va pas naturellement au-delà, si on la violente, après un moment, elle s’éloigne par la crainte de profaner ce qu’elle adore.

Lorsque le plaisir a entièrement parcouru sa carrière, il est clair que nous retombons dans l’indifférence ; mais cette indifférence n’est pas la même que celle d’auparavant. Ce second état diffère du premier, en ce que nous ne serions plus capables de goûter, avec autant de délices, le plaisir que nous venons d’avoir.

Les organes qui servent à le cueillir sont fatigués, et l’imagination n’a plus autant de propensions à présenter les images qui seraient agréables aux désirs qui se trouvent satisfaits.

Mais si au milieu du plaisir on vient nous en arracher, il y a production de douleur.