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qui forment les époques de la naissance de l’amour, sont chez elles plus doux, plus timides, plus lents, moins décidés ; il y a donc plus de dispositions à la constance, elles doivent se désister moins facilement d’une cristallisation commencée.

Une femme, en voyant son amant, réfléchit avec rapidité ou se livre au bonheur d’aimer, bonheur dont elle est tirée désagréablement s’il fait la moindre attaque, car il faut quitter tous les plaisirs pour courir aux armes.

Le rôle de l’amant est plus simple ; il regarde les yeux de ce qu’il aime, un seul sourire peut le mettre au comble du bonheur, et il cherche sans cesse à l’obtenir[1]. Un homme est humilié de la longueur du siège ; elle fait au contraire la gloire d’une femme.

Une femme est capable d’aimer et, dans un an entier, de ne dire que dix ou douze mots à l’homme qu’elle préfère. Elle tient note au fond de son cœur du nombre de fois qu’elle l’a vu ; elle est allée deux fois avec lui au spectacle, deux autres fois s’est trouvée à dîner avec lui, il l’a saluée trois fois à la promenade.

  1. Quando legemmo il disiato riso
    Esser baciato da cotanto amante,
    Questi che mai da me non fia diviso,
    La bocca mi bació tutto tremante.
    Francesca da Rimini. Dante.