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cristallisation qui, parce que la crainte l’accompagne, est de beaucoup la plus forte.

Une femme croit de reine s’être faite esclave. Cet état de l’âme et de l’esprit est aidé par l’ivresse nerveuse que font naître des plaisirs d’autant plus sensibles qu’ils sont plus rares. Enfin une femme, à son métier à broder, ouvrage insipide et qui n’occupe que les mains, songe à son amant, tandis que celui-ci, galopant dans la plaine avec son escadron, est mis aux arrêts s’il fait faire un faux mouvement.

Je croirais donc que la seconde cristallisation est beaucoup plus forte chez les femmes parce que la crainte est plus vive : la vanité, l’honneur sont compromis, du moins les distractions sont-elles plus difficiles. Une femme ne peut être guidée par

l’habitude d’être raisonnable, que moi, homme, je contracte forcément à mon bureau, en travaillant, six heures tous les jours, à des choses froides et raisonnables. Même hors de l’amour, elles ont du penchant à se livrer à leur imagination, et de l’exaltation habituelle ; la disparition des défauts de l’objet aimé doit donc être plus rapide.

Les femmes préfèrent les émotions à la raison ; c’est tout simple : comme, en vertu de nos plats usages, elles ne sont chargées