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L’immense majorité des hommes, surtout en France, désire et a une femme à la mode, comme on a un joli cheval, comme chose nécessaire au luxe d’un jeune homme. La vanité plus ou moins flattée, plus ou moins piquée, fait naître des transports. Quelquefois il y a l’amour physique, et encore pas toujours ; souvent il n’y a pas même le plaisir-physique. Une duchesse n’a jamais que trente ans pour un bourgeois, disait la duchesse de Chaulnes ; et les habitués de la cour de cet homme juste, le roi Louis de Hollande, se rappellent encore avec gaieté une jolie femme de la Haye, qui ne pouvait se résoudre à ne pas trouver charmant un homme qui était duc ou prince. Mais, fidèle au principe monarchique, dès qu’un prince arrivait à la cour, on renvoyait le duc : elle était comme la décoration du corps diplomatique.

Le cas le plus heureux de cette plate relation est celui où le plaisir physique est augmenté par l’habitude. Les souvenirs la font alors ressembler un peu à l’amour ; il y a la pique d’amour-propre et la tristesse quand on est quitté ; et les idées de roman vous prenant à la gorge, on croit être amoureux et mélancolique, car la vanité aspire à se croire une grande passion. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’à quelque genre d’amour que l’on doive les plaisirs,