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habituel sont deux choses. Si l’on prend ces mots dans le même sens, il est évident que plus on a de sensibilité, plus il est difficile d’être naturel, car l’habitude a un empire moins puissant sur la manière d’être et d’agir, et l’homme est davantage à chaque circonstance. Toutes les pages de la vie d’un être froid sont les mêmes ; prenez-le aujourd’hui, prenez-le hier, c’est toujours la même main de bois.

Un homme sensible, dès que son cœur est ému, ne trouve plus en soi de traces d’habitude pour guider ses actions ; et comment pourrait-il suivre un chemin dont il n’a plus le sentiment ?

Il sent le poids immense qui s’attache à chaque parole qu’il dit à ce qu’il aime, il lui semble qu’un mot va décider de son sort. Comment pourra-t-il ne pas chercher à bien dire ? ou du moins comment n’aura-t-il pas le sentiment qu’il dit bien ? Dès lors il n’y a plus de candeur. Donc il ne faut pas prétendre à la candeur, cette qualité d’une âme qui ne fait aucun retour sur elle-même. On est ce qu’on peut ; mais on sent ce qu’on est.

Je crois que nous voilà arrivés au dernier degré de naturel que le cœur le plus délicat puisse prétendre en amour.

Un homme passionné ne peut qu’embrasser fortement, comme sa seule ressource