Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de la galanterie, de l’âme tendre et de l’âme prosaïque[1].

Dans ces moments décisifs, l’une gagne autant que l’autre perd ; l’âme prosaïque reçoit justement le degré de chaleur qui lui manque habituellement, tandis que la pauvre âme tendre devient folle par excès de sentiment, et, qui plus est, a la prétention de cacher sa folie. Toute occupée à gouverner ses propres transports, elle est bien loin du sang-froid qu’il faut pour prendre ses avantages, et elle sort brouillée d’une visite où l’âme prosaïque eût fait un grand pas. Dès qu’il s’agit des intérêts trop vifs de sa passion, une âme tendre et fière ne peut pas être éloquente auprès de ce qu’elle aime ; ne pas réussir lui fait trop de mal. L’âme vulgaire, au contraire, calcule juste les chances de succès, ne s’arrête pas à pressentir la douleur de la défaite, et, fière de ce qui la rend vulgaire, elle se moque de l’âme tendre, qui, avec tout l’esprit possible, n’a jamais l’aisance nécessaire pour dire les choses les plus simples et du succès le plus assuré. L’âme tendre, bien loin de pouvoir rien arracher par force, doit se résigner à ne rien obtenir que de la charité de ce qu’elle aime. Si la femme qu’on aime est vraiment sensible, l’on a toujours lieu de se

  1. C’était un mot de Léonore.