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CHAPITRE XIV

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Voici un effet qui me sera contesté, et que je ne présente qu’aux hommes, dirai-je, assez malheureux pour avoir aimé avec passion pendant de longues années, et d’un amour contrarié par des obstacles invincibles.

La vue de tout ce qui est extrêmement beau, dans la nature et dans les arts, rappelle le souvenir de ce qu’on aime, avec la rapidité de l’éclair. C’est que, par le mécanisme de la branche d’arbre garnie de diamants dans la mine de Salzbourg, tout ce qui est beau et sublime au monde fait partie de la beauté de ce qu’on aime, et cette vue imprévue du bonheur à l’instant remplit les yeux de larmes. C’est ainsi que l’amour du beau et l’amour se donnent mutuellement la vie.

L’un des malheurs de la vie, c’est que ce bonheur de voir ce qu’on aime et de lui parler ne laisse pas de souvenirs distincts. L’âme est apparemment trop troublée par ses émotions, pour être attentive à ce qui les cause ou à ce qui les accompagne.