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main le moyen de les accorder.Tu verras très rarement, dans la société où nous sommes appelés à vivre, un des deux disputants par­tir d'une erreur absolue ; ordinairement chacun applique mal une vérité incomplète.

Ces réflexions me sont venues en voyant hier une dispute fort vive entre deux hommes de beaucoup d'esprit. Le commen­cement de cette feuille prouve qu'il ne faut pas estimer notre conversation et, en général, notre rôle dans la vie commune par le mérite qu'il nous semble avoir, mais par l'effet que nous lui voyons pro­duire. Tel a dit des choses pleines d'esprit et a passé pour un sot ; les gens qui l'écou-taient étaient sots, et ne comprenaient pas.

Ma chère Pauline, j'écris une longue lettre à Gaétan plutôt qu'à toi, parce qu'il en a un plus grand besoin. Je tremble qu'il ne soit gâté par une éducation de lycée qui est organisée pour rendre savant à la vérité, mais bas et vil, et l'enfant est déjà timide. Prends soin de lui : nous jouirons de nos succès s'ils réussissent ; dans le cas contraire, une fois grand, nous ne le verrons plus ; car rien d'insuppor­table comme la société d'un mauvais cœur sot ; c'est ce qu'il y a de pire ; et voilà l'avantage de Paris sur la pro­vince : il y a bien autant de mauvais cœurs, mais moins de sots.