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je n'aurais point de maîtresse. Vous me croyez galant, et vous vous figurez sous mon nom un sot animal. J'en sens trop bien le ridicule pour l'être jamais dans toute la force du terme. J'ai pu avoir quelques bouffées d'amour-propre, comme tous les jeunes gens ; j'ai pu être fat par bon ton lorsque je me croyais regardé ; mais tout mon orgueil est bien vite tombé en voyant mes prédécesseurs et ceux qui me succédaient. Enfin vous achèverez de vous détromper de ma fatuité, lorsque vous saurez qu'ayant eu l'occasion de voir quelque temps la femme que j'aime, je ne lui ai jamais dit ce mot si simple : Je vous aime ; et que j'ai tout lieu de croire qu'elle ne m'a jamais distingué, ou que, si elle l'a fait un instant, j'en suis parfaitement oublié. Vous voyez qu'il y a loin de là à se croire aimé. J'ai eu quel­quefois l'idée d'aller la trouver et de lui dire  : Voulez-vous de moi pour votre époux ? Mais outre que la proposition eût été saugrenue de ma part, et que, comme vous le dites fort bien, j'eusse été refusé, je ne me crois pas digne de faire son bonheur ; je suis trop vif encore pour être un bon mari, et je me brûlerais la cervelle si je croyais qu'elle pût penser: « J'eusse été plus heureuse avec un autre homme. »