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cime, où l’herbe fine et rase, unie comme celle d’une pelouse, allait en pente douce gagner l’onde transparente. J’étais déshabillé, les pieds dans l’eau, les bras tendus, les mains réunies, lorsque au moment où je m’ébranlais pour plonger, un corps énorme, fendant l’onde comme une flèche, s’arrêta juste à l’endroit où j’allais piquer une tête. L’effort se fit en sens inverse : je bondis en arrière, instinctivement, et je fus sauvé : c’était un crocodile.

Le monstre s’éloigna d’un air désappointé, me laissant me complimenter moi-même, car je l’avais échappé belle, et me promettre de ne plus jamais céder à l’attrait perfide d’une rivière africaine.

Dès que j’eus repris mes vêtements, je me détournai de cette onde traîtresse, dont l’aspect m’était devenu répulsif, et j’entrai dans le fourré.

Le soir, dans notre enclos d’épines, que ses chevaux de frise rendaient inattaquable, régnaient la sécurité et la joie ; partout le confort, les éclats de rire et la bombance. Autour de chaque foyer, des gens accroupis et radieux : l’un attaquant à pleine bouche une tranche savoureuse ; un autre suçant la moelle d’un fémur de zèbre ; celui-ci faisant rôtir un quartier de venaison ; celui-là mettant sur la braise une énorme côte. Leurs voisins regardaient bouillir la soupe, remuaient la bouillie à toute vitesse, ou veillaient d’un air attentif sur l’étuvée qui mijotait. D’autres attisaient les feux, dont la clarté mobile dansait vigoureusement sur les formes nues, les faisait étinceler, empourprait la tente dressée au milieu du boma, comme le sanctuaire de quelque divinité mystérieuse,