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UN VOYAGEUR INCONNU

qui venaient d’avoir lieu. C’était à croire qu’on y prenait part avec lui. On l’écoutait, n’osant plus respirer. Les hommes, si habituellement impassibles, s’enflammaient ; les femmes s’écriaient et sanglotaient. Les enfants, ayant perdu toute envie de dormir, étaient suspendus à ses lèvres.

Tout à coup on entendit deux coups de feu, puis plusieurs autres encore. Après un court intervalle, d’autres succédèrent.

On s’était tu. On prêtait l’oreille. Les coups partaient de la steppe. On écouta longtemps, mais le silence s’était refait.

« Eh quoi ! la poudre parle même dans vos paisibles campagnes ? dit alors le voyageur.

— Cela doit venir du côté du grand chemin de Tchiguirine, dit Andry Krouk.

— Cela est venu de tous les côtés successivement, » dit Danilo en remuant la tête.

Il se faisait tard ; les femmes se levèrent pour retourner à leurs maisons. Il fallait faire coucher les enfants. Plus d’une avait pris le sien dans ses bras. Les unes étaient grandes et robustes, d’autres frêles et petites ; elles étaient jeunes ou vieilles, mais toutes avaient la même expression, cette expression de volonté énergique qu’on a quand, après bien des souffrances et des luttes, on est décidé à tout faire avec calme, fût-ce à mourir.

On se disait encore adieu sur le seuil de la porte,