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MAROUSSIA

S’il causait, c’était des choses qui, dans un tel moment, occupaient tout le monde : des désastres du pays, des villes brûlées, des champs dévastés qu’il avait vus sur sa route. Maître Danilo et ses amis imitèrent sa réserve. Ils se demandaient probablement d’où il venait et où il allait, et aussi dans quel pays il était né ; mais, puisqu’il ne le disait pas, ils ne le lui demandaient pas. On voyait bien que, quoique jeune encore, il connaissait beaucoup de choses : les mœurs turques, les coutumes polonaises, le caractère russe, les usages tartares. Il paraissait que la Setch[1] ne lui était pas inconnue non plus.

Quant à l’Ukraine, il était évident qu’il l’avait parcourue dans tous les sens, qu’il avait visité, habité peut-être les grandes villes aussi bien que les villages et les petites campagnes. Plus d’un s’était interrogé aussi sur la balafre qu’il avait sur la joue gauche : où avait-il reçu, gagné cette belle blessure, faite bien certainement par une arme tranchante ? Cela ne regardait que lui. À chacun ses secrets. Cependant le voyageur, rassuré sans doute par l’accueil qu’il recevait, devenait de lui-même plus expansif. Il décrivit avec une saisissante vigueur les batailles

  1. La Setch était une île sur le Dniéper où les cosaques Zaporogues (ce qui veut dire au delà des rapides du Dniéper) tenaient leur camp, où les femmes n’étaient pas admises, et d’où partaient de terribles razzias, principalement sur les terres des Tartares et des Turcs. Gogol en a fait une belle description dans son Tarass Boulba.