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LIVRE PREMIER

AVANT LE PARNASSE


CHAPITRE PREMIER

Théophile Gautier

Le véritable ancêtre du Parnasse est sans contredit Théo. Le vieux bousingot, l’ancien soldat d’Hernani, quitte, lui aussi, l’armée romantique. Il ne déserte pas, il garde un culte pour son ancien drapeau, mais il en arbore un autre, qui est le sien[1]. Bien entendu il conservera toute sa vie sa diathèse romantique[2]. Ainsi, le 9 avril 1868, il écrit à Sainte-Beuve pour lui certifier qu’il n’est pas mort ainsi que le bruit en a couru : « Mon oncle…, je n’ai pu aller lundi au Roi Lear. Ma qualité de vieux romantique a fait penser sans doute que mon absence d’une représentation de Shakespeare ne pouvait être motivée que par ma mort[3] ». Deux ans plus tard, on constate encore chez lui une rechute de romantisme : le Ier novembre 1870, à un banquet chez Brébant, les convives rabâchent sur les causes de notre défaite ; Nefftzer s’écrie : — Ce qui a perdu la France, c’est la routine et la rhétorique, — et Théo précise en soupirant : — Oui, c’est le classicisme[4] !

N’importe, il se détache de l’École de 1830, et se distingue de plus en plus de tout le romantisme[5] ; on peut même fixer la date : c’est en 1835, dans la préface de Mlle de Maupin, qu’il reconnaît le divorce entre la poésie romantique et la société nouvelle ; il récidive en 1837, et c’est un parnassien, G. Lafenestre, qui le constate : Théo brise « les chaînes étroites de la formule romantique, pour se

  1. J’ai esquissé cette idée à la fin de mon Histoire du Romantisme ; je la développe avec des documents nouveaux. On ne retrouvera ici aucun des textes qui m’ont servi en 1927.
  2. De Spœlberch, Histoire des œuvres de Th. Gautier, I, 21-22.
  3. Id., ibid., I, 108.
  4. Journal des Goncourt, IV, 110.
  5. Faguet, R. D. D.-M., 15 juillet 1911, p. 237.