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LIVRE VI
LA PERSISTANCE DU PARNASSE

CHAPITRE PREMIER
L’apothéose de Leconte de Lisle

Le long effort du Maître reçoit sa consécration officielle le 31 mars 1887, quand, à l’Académie, il prend possession du fauteuil de Victor Hugo et prononce son retentissant discours[1]. Pour le bien comprendre, il faut lire la lettre qu’il écrit, le il mars 1886, à Mme Foucque, sa cousine : il prépare déjà l’éloge de V. Hugo « in petto, car je n’en ai pas écrit une ligne. J’ai tant de précautions oratoires à prendre pour ne pas effaroucher mes auditeurs, que cinq à six mois de réflexion ne sont pas superflus. En outre la prose, et surtout la prose académique qui est une variété des idiomes antédiluviens, n’est pas ma langue naturelle… J’espère me tirer d’affaire cependant si je vis jusque-là. Je sais, et on ne cesse de me le répéter, qu’on s’attend à une sorte de séance dramatique, si ce n’est au scandale littéraire que Le Gaulois a prophétisé, à la plus grande joie du public friand de péripéties tragiques. Imaginez-vous que Pingard est déjà assiégé de demandes. Or, tout le monde sera fort désillusionné. J’ai l’intention d’être si sage, si prudent, si banal, si plat, si nul, que j’en suis moi-même stupéfait. Mais tout cela est très loin encore, et qui sait si, dans l’intervalle, je n’écrirai pas, sans le vouloir et sans le savoir, un effroyable discours qui fera sauter en l’air la coupole de l’Institut et une éruption d’habits verts vides de leur contenu. Espérons toutefois qu’il n’en sera

  1. Sur ses visites académiques, cf. ses lettres à sa cousine, Mme Foucque, publiées par Alain Bossard dans le Mercure de France, Ier avril 1929, p. 226-231.