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HISTOIRE DU PARNASSE

Cet hellénisme souligné est une marque de la fabrique parnassienne, une contrefaçon même, car il est bien inférieur à celui de Leconte de Lisle, comme tous les pastiches, comme tout ce qui est tendancieux et sournois[1]. Du reste, l’intéressé lui-même s’en rend bien compte, et l’avoue dans un accès de modestie dont il faut lui savoir gré : visitait le théâtre d’Orange où, deux ans auparavant on avait joué Les Noces Corinthiennes, et voulant se rendre compte de l’acoustique, il monte sur le proskenion, et récite une tirade empruntée non à sa pièce, mais à Œdipe Roi[2]. L’idée est vraiment jolie, comme aussi l’hommage qu’il rend à J.-G. Frazer, dans sa préface aux Heures de Loisir : « Frazer a éclairé d’une lumière nouvelle cette antiquité grecque que nous croyions connaître[3] ». L’hellénisme qu’il connaît, c’est celui des sophistes[4]. C’est en sophiste qu’il fait, devant Jules Breton, l’éloge des divinités grecques, pendant qu’il écrit Les Noces Corinthiennes : « les dieux les plus intéressants sont ceux de l’antiquité, ceux qui symbolisent les forces de la nature. On les a indignement calomniés. Nous devons, nous poètes, les défendre, les réhabiliter, les remettre sur leur piédestal[5] ». Bien entendu il ne croit pas à ces dieux, puisqu’il est athée, mais c’est une façon de dire qu’il préfère le paganisme au christianisme[6].

Son érudition mythologique n’est pas toujours sûre Daphné dit à sa mère qu’elle a promis de suivre Hippias,


…fidèle, en sa chambre d’ivoire,
Ou de dormir avec Caron dans la nef noire[7].


On ne dort pas dans la barque du Styx, avec ou sans Caron. À défaut d’une histoire de la mythologie grecque, France aurait dû consulter le sonnet de Baudelaire :


Quand don Juan descendit sur l’onde souterraine…


Mais à quoi bon insister ? Ne serait-il pas naïf de discuter la pureté de son hellénisme dans une pièce aussi composite, aussi

  1. Charly Clerc, Le Génie, p. 118 ; L. Daudet, Études et Milieux littéraires, p ; 27 Zola, Documents Littéraires, p. 178 ; Troude, Bulletin des Professeurs catholiques de l’Université, 15 décembre 1926 ; cf. Henri {{sc|Massis, Jugements, I, 156-162.
  2. Corday, Anatole France, p. 101-102.
  3. Frazer, Heures de Loisir (Geuthner, 1922).
  4. Amiot, Anatole France et la Grèce, dans la Revue Hebdomadaire du 10 octobre 1925, p. 137.
  5. Mme Demont-Breton, II, 154.
  6. Corday, Anatole France, p. 190.
  7. Poésies, p. 151.