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LE PARNASSE

dans l’art qui n’a d’autre but que lui-même[1] ». Leconte de Lisle aurait pu se contenter d’appliquer à Déroulède cette doctrine qu’il avait mise au point du temps qu’il était un penseur solitaire. Mais maintenant il a derrière lui une troupe de séides, et il leur donne un mot d’ordre meurtrier, qui est obéi. Catulle Mendès, constatant qu’on leur oppose la brusque célébrité de l’auteur des Chants du Soldat, couvre de fleurs cet homme estimable, à l’âme hautaine, qui a l’élan, la force, la sincérité ; aucun Parnassien ne lui conteste la loyauté, l’ardeur, l’inspiration même : « mais voilà, il n’est pas un artiste. Seuls, les artistes, les vrais artistes, demeurent. M. Paul Déroulède n’a pas daigné travailler, ou n’a pas pu… Pour être longtemps entendues, il faut que, même patriotiques, les trompettes ne sonnent pas faux[2] ». La consigne passe de bouche en bouche : Jules Tellier lance aussi son anathème, à la fin de son chapitre sur les poètes penseurs : « je pourrais faire de M. Déroulède un philosophe… Car, si l’on se donne pour mission de pousser les hommes à la frontière, ce ne peut être qu’en raison d’une certaine notion du devoir. Mais y a-t-il nécessité à ce que je parle de M. Déroulède [3] ? » M. Lanson est de cet avis, et ne prononce même pas le nom de l’artiste dédaigné. M. Strowski, qui admire l’homme, nie l’écrivain[4]. M. Léon Daudet le trouve « excellent homme et orateur entraînant, mais cerveau vide[5] ». M. Lalou l’exécute en quatre lignes[6]. Enfin, au dernier degré de la virulence, Huysmans se permet d’écrire : « le patriotisme de Déroulède, quelle admiration assurée auprès des imbéciles[7] ! » Mais depuis combien de temps Joris-Karl Huysmans était-il français[8] ?

Heureusement pour l’honneur de l’École il s’est trouvé au moins deux Parnassiens pour défendre Déroulède. Louis Ménard, en 1899, s’indigne de sa condamnation, et écrit là-dessus à Coppée des lettres admirables[9]. Louis de Fourcaud fait son éloge funèbre, le 30 janvier 1914 : « c’était une âme exaltée, mais une âme héroïque, le plus désintéressé des patriotes, le plus fidèlement et le plus farou-

  1. Derniers Poèmes, p. 266-267.
  2. Rapport, p. 147.
  3. Nos Poètes, p. 157.
  4. Histoire de la Littérature française au xixe et au xxe siècle, p. 456.
  5. Le Stupide xixe siècle, p. 80.
  6. Histoire de la Littérature, p. 33.
  7. Revue, 1925, P- 332.
  8. H. Bachelin, Huysmans, p. 10-11, 14.
  9. Coppée, dans Le Tombeau de Ménard, p. 104.