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HISTOIRE DU PARNASSE

CHAPITRE XIV
La guerre de 1870

Devant l’épreuve, les Parnassiens ont-ils abordé ce redoutable problème : — notre art est-il une cuirasse protégeant le cœur du pays, ou une simple parure qu’on rejette au moment où il ne s’agit plus de jouer ? — Ils sont rares, les écrivains qui osent cet examen de conscience en public. Mais, au fond du cœur, c’est une énigme, et cruelle : — N’étais-je, et ne suis-je, qu’un joueur de flûte, au moment où il s’agit de sonner du clairon ? — Barrès se posa publiquement cette question, le 13 juillet 1914. Il est vrai qu’il n’avait pas peur de la réponse[1].

Leconte de Lisle, pour son compte, n’éluda probablement pas ce cas de conscience ; mais peut-être n’aurait-il eu ni scrupule ni inquiétude, puisqu’on a démontré, ou tout au moins essayé de démontrer, que l’héroïsme est latent dans son œuvre, que ses héros ont des âmes de guerriers, et que le poète, qui repousse de la poésie le dogmatisme moral, enseigne pourtant l’énergie, la patience, l’endurance, bref, toutes les forces qui sont nécessaires pour le combat[2].

Autour de lui, que font les Parnassiens ? Heredia, qui n’est pas encore naturalisé, part pour le Midi, et passe les temps difficiles à Menton ; tel Mélibée, il vante à Coppée la beauté du pays, la splendeur du soleil, les joies d’une vie plantureuse à bon marché[3]. Au contraire, Théophile Gautier rentre vite en France : au début de la guerre, il est en Suisse, au pied du Salève, dans la maison aimée de sa belle-sœur, Carlotta Grisi :


Dans un libre pays, au bord d’un lac divin,
Pouvant vivre tranquille et manger à sa faim,
Il choisit devenir mourir pour la Patrie[4].


En arrivant à Paris, le 5 septembre, il dit à Dreyfous le mot célèbre : « On bat ma maman, et je ne serais pas là ! » Et aussitôt,

  1. Tharaud, Mes Années chez Barrès, p. 281-282 ; cf. Paul Fort, Anthologie des Ballades françaises, p. 338-339.
  2. Marcel Coulon, Anatomies Littéraires, p. 95-107.
  3. Correspondant du 25 janvier 1924, p. 325.
  4. Vacquerie, Depuis, p. 193.