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LE PARNASSE

l’enchantement du même ciel, répandu, par ses paroles et ses exemples, un trésor infini de pitié, de tendresse, d’espérances, une poésie naïvement humaine, autrement sincère, consolante, salubre et féconde, que toutes les virtuosités égoïstes et stériles des littératures mondaines et savantes[1] ».

En somme, Lafenestre est une étoile de deuxième grandeur, comme Jean Aicard. On est un peu surpris d’apercevoir aux réunions du passage Choiseul le futur auteur de Miette et Noré, tant il est jeune ; mais il est impossible de ne pas remarquer ce Provençal, plein d’aplomb malgré ses vingt ans, et qui ne se laisse pas intimider par les poètes de Paris[2]. Il parle, il pérore, il débite ses vers à la perfection, ayant inventé avant Legouvé l’art de la lecture. Les anciens le trouvent précieux, maniéré, coquet : il est « trop gentil » dit l’ironique Calmettes[3]. La vérité c’est qu’il est très beau, donc trop beau d’après les jaloux. On aime à voir sa fine tête d’arabe au Parnasse de 1869. Naturellement, il chante sa Méditerranée ; il se risque même à la grande poésie pindarique dans Aspiration ; mais son vers est encore mou. Aicard ne s’est pas mis franchement au vers parnassien. Il n’est pas encore de l’École. Il a réussi à pénétrer dans le recueil officiel, mais c’est pour s’en faire une réclame. Son vrai talent est ailleurs. Il est déjà régionaliste à une époque où le mot n’est pas encore inventé. Sully Prudhomme, qui est très bon, et qui veut l’encourager, souligne cette originalité dans un sonnet aimable, adressé à l’auteur de Miette et Noré :


Tu nous as rapporté de ton pays natal
Ce qui nous manque ici, l’air, le jour et la flamme ;
Ton poème réchauffe et colore notre âme
Comme un reflet brûlant d’azur oriental…

Disciple harmonieux de l’antique cigale,
Je ne saurais te rendre aucune joie égale
À la sereine ivresse où m’ont plongé tes vers.

N’en fais que de pareils, ou n’en fais jamais d’autres ;
Plains et n’imite pas la tristesse des nôtres,
Où ne se sont mirés ni les cieux ni les mers[4].


Aicard n’est pas seulement de sa région, il est aussi de sa province. Richepin s’en égaye doucement ; de Marseille il écrit à

  1. Saint François d’Assise, p. 4-5.
  2. Theuriet, Souvenirs, p. 244-245.
  3. Leconte de Liste et ses Amis, p. 295.
  4. Épaves, p. 151.