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LE PARNASSE

réussite, dans ce tour de force qu’est le sonnet. Il sait que le noble de l’ouvrage, comme disait Régnier, est ailleurs. Il transforme, en effet, le sonnet en modifiant profondément l’impression finale. On disait au xviie siècle : la chute du sonnet, et le mot était juste, car bien souvent la pièce finissait par une sorte de retombée de la pensée ; c’est ce qui se produit par exemple, dans Arvers. Avec Heredia, au contraire, la fin est une ascension[1]. Ainsi, dans l’Othrys :


… Le Parnasse où, le soir, las d’un vol immortel
Se pose, et d’où s’envole, à l’aurore, Pégase !


Un sonnettiste à l’ancienne manière eût exprimé uniquement la fatigue et le repos :


                            … las d’un vol immortel
Se pose, repliant ses deux ailes, Pégase.


Chez Heredia, les fins de sonnet rebondissent avec une alacrité joyeuse. En 1873, sur la plage de Douamenez, Jules Breton admire un coucher de soleil. Soudain retentit la voix du poète qui, debout sur une roche, agitant les bras, crie : « Breton ! Quel soleil merveilleux 1 Nous revenons de la plage… Tout ce grand ciel de rêve se mirait dans le sable mouillé… Mon cher, c’était sublime, et j’ai trouvé ce vers superbe, qui fera une fin de sonnet magnifique :


Le ciel occidental dans le miroir des sables ! »


Breton, agitant sa palette, crie : bravo ! Il a la joie, la fierté de retrouver ce vers dans les Trophées à la fin du sonnet Un Peintre ; Heredia a voulu faire ainsi cadeau à Breton de sa trouvaille de Douamenez[2]. On comprendra mieux maintenant le charme véridique de ces vers si tendres :


Ô mon Père si beau, si charmant et si bon,
Dont le cœur était fait d’une clarté si pure,
Ô vous lié si fort à toute la nature[3].


Heredia met tout son effort à faire bien d’abord, mieux ensuite, enfin à réaliser sa perfection. Il y prend peine ; après avoir exprimé dans un sonnet la quintessence d’une trentaine de volumes, il se dit et se redit le poème à voix haute, pour faire sonner chaque mot.

  1. Doumic, R. D. D.-M., 15 octobre 1905, p. 934.
  2. Mme Demont-Breton, Les Maisons, II, 109.
  3. Gérard d’Houyille, R. D. D.-M., Ier décembre 1917, p. 583.