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LE PARNASSE

le Maître, il veut voir dans l’auteur des Trophées un super-Leconte de Lisle, et non pas son élève[1]. Verlaine, Remy de Gourmont, s’inscrivent en faux contre cette erreur volontaire[2]. Coppée, recevant Heredia à l’Académie, salue en lui « le disciple favori, l’ami tendre et dévoué » de Leconte de Lisle[3]. On peut surtout en croire l’intéressé, qui a profité de toutes les occasions pour proclamer sa dette ; aux jeunes qui l’entoureront plus tard à son tour, il dira sa vénération ardente pour son noble ami : il s’y prendra si bien que peu à peu ils verront grandir la figure de l’auteur des Poèmes, et Leconte de Lisle se dresser dans le lointain « comme un pape de la littérature[4] ». Heredia aurait voulu lui dédier Les Trophées, mais ils appartenaient d’abord à sa mère ; dans une seconde dédicace, il explique à son ami qu’il a dû faire passer avant lui « une mémoire sacrée, qui, je le sais, vous est chère aussi ». Puis, il lui rend ce témoignage superbe, d’une modestie triomphante : « J’ai pu, au cours d’une longue intimité, comprendre mieux l’excellence de vos préceptes et de vos conseils, toute la beauté de votre exemple. Et mon titre le plus sûr à quelque gloire sera d’avoir été votre élève bien-aimé[5] ». Il proclame une dernière fois sa reconnaissance, le jour de sa réception à l’Académie, où il était heureux de paraître sous l’habit d’académicien de Leconte de Lisle, avec son épée au côté : « Il n’est pas de bonheur sans regret. Je ne retrouve plus auprès de moi le grand poète qui eût goûté une joie paternelle à me servir aujourd’hui de parrain, après avoir été si longtemps mon maître vénéré[6] ».

Comment s’exerçait cette maîtrise ? D’une façon très didactique, avec correction de copie par le professeur parlant ex cathedra : nous avons une lettre à Heredia, du 23 septembre 1871, sur la première version du Serrement de mains[7] ; elle est digne de Malherbe, qui fut un étonnant éplucheur de vers ; Leconte de Lisle est impitoyable, et infaillible :


« Diego Laynez ne peut plus toucher aux viandes


  1. Rapport, p. 116 ; cf. E. Millaud, La Nouvelle Revue, Ier février 1922, p. 281.
  2. Verlaine, Œuvres, V, 467 ; Gourmont, Promenades, II, 57.
  3. À l’Académie, 30 mai 1895.
  4. Albalat, Souvenirs, p. 50 ; cf. H. de Régnier, Revue de France, 15 mars 1923, p. 395.
  5. Cf. sa déclaration Huret, Enquête, p. 308, 310-311.
  6. Discours du 30 mai 1895.
  7. Trophées, p. 159 ; Ibrovac, p. 287-288.