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LE PARNASSE

mort. Je connais bien, parbleu, l’apologie de l’artificiel. Baudelaire l’inventa comme arme de guerre en haine des sots et des bourgeois… Les Fleurs du Mal sont des merveilles, mais les imitateurs en toc se sont figurés qu’eux aussi pourraient construire et habiter le kiosque en marqueterie dont parle Sainte-Beuve. Quelle présomption[1] ! » Contre ces présomptueux, Daudet, Arène, et leurs amis, lancent Le Parnassiculet.

L’éditeur, Lemer (?), dans un avertissement amusant, annonce leur intention de ramener à la modestie une trentaine de débutants qui prétendent représenter à eux seuls la poésie contemporaine : « nous écrivons trente au lieu de trente-sept, désirant mettre en dehors de notre critique quelques anciens. Pourquoi diable en sont-ils ? Que les enfants de chœur fassent la cabriole derrière l’autel, passe encore ! Mais des chanoines ! »

L’Éditeur n’a pas l’air, du reste, très bien’renseigné, car il prend les Parnassiens pour des romantiques attardés, pour des survivants de « cette époque déjà si loin de nous, qui se croyait une Renaissance et qui, par certains côtés qu’on voudrait remettre à la mode, ne fut qu’une Descente de la Courtille littéraire ». Cela dit, l’éreintement commence.

C’est d’abord la séance littéraire à l’Hôtel du Dragon-Bleu, par Paul Arène. Le lettré Si-Tien-Li, mandarin à bouton de cristal, est invité à une soirée en cet hôtel où les Parnassiens tiennent leur Sabbat. Il grimpe jusqu’à une chambre où trois lanternes de papier découpé pendent au plafond ; une cassolette fume dans un coin ; assis par terre le long des murs, les poètes mâchent du haschich, tandis qu’une jeune femme « en costume de statue » prend les poses que lui indique « un bel adolescent à longs cheveux dorés et bouclés » : on reconnaît Catulle Mendès. C’est probablement pour illustrer la séance qu’au début du livre figure la « très étrange eauforte », représentant une femme nue, écroulée par terre, ivre de fumée orientale, tandis qu’un chat noir miaule aigrement.

Les Parnassiens encore valides se lèvent et serrent la main de Si-Tien-Li qui s’étonne de voir autour de lui « tant d’yeux effarés et de chevelures extraordinaires ». Les autres, « plus profondément haschichés » restent accroupis sur leurs coussins. Alors, le jeune homme aux cheveux d’or explique au mandarin l’esthétique du

  1. Léon Daudet, Alphonse Daudet, p. 64.