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HISTOIRE DU PARNASSE


Et l’eau vive s’endort dans les porphyres roux,
Les rosiers de l’Iran ont cessé leurs murmures,
Et les ramiers rêveurs leurs roucoulements doux.
Tout se tait. L’oiseau grêle et le frelon jaloux
Ne se querellent plus autour des figues mûres.
Les rosiers de l’Iran ont cessé leurs murmures,
Et l’eau vive s’endort dans les porphyres roux[1].


Voilà probablement son chef-d’œuvre de facture, et en même temps une merveille orientale, toute parfumée de musc, toute vibrante d’une musique barbare. On dirait qu’il y a dans ce poème un écho du délicieux opéra de Félicien David, Lallah Roukh. Le charme sensuel de l’Orient persan est à peu près le même chez le musicien et chez le poète, avec les transpositions d’art nécessaires : alanguissement voluptueux de la mélodie poétique chez Félicien David, musique des vers chez Leconte de Lisle. Mais le musicien est moins original que le poète. Cette perfection de la beauté de surface, cette puissance de la pensée intime, ces orages de passion dans le cœur, et cette impassibilité voulue du visage, tout cela, fondu dans le même talent, était nouveau, attirant. C’était bien un maître celui qui signait Ego cette pensée : « le génie est nécessairement impersonnel ; mais il s’affirme dans son impersonnalité même[2] ». Les disciples pouvaient venir.


CHAPITRE VII
Leconte de Lisle chef du Parnasse

Mais ils tardent, au gré du poète qui souffre de son isolement ; il se plaint à Mme Louise Colet, en 1853, de n’avoir personne autour de lui[3]. Heureusement le Figaro le prend en grippe, et, s’acharnant contre lui, lui fait la plus profitable des réclames : à force d’entendre bafouer Leconte de Lisle, quelques débutants pressentent en lui une force, vont vers lui, et sont conquis[4]. Ver-

  1. Poèmes Barbares, p. 133.
  2. Supplément littéraire du Figaro, 5 mai 1928.
  3. Flaubert, Correspondance, II, 223.
  4. H. Roujon, Le Temps, 3 mars 1904.