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LE PARNASSE

des bonheurs d’expression, aucune mièvrerie ; partout l’équilibre et la force. C’est un puissant rimeur, qui dédaigne les curiosités de la fin du vers ; Baudelaire a proclamé cette sobriété : « ses rimes, exactes sans trop de coquetterie, remplissent la condition de beauté voulue, et répondent régulièrement à cet amour contradictoire et mystérieux de l’esprit humain pour la surprise et la symétrie[1] ». L’éloge est magistral, mais il est incomplet : la rime chez Leconte de Lisle est mieux qu’une surprise : elle contient toujours le mot lumineux :


Tels, le ciel magnifique et les eaux vénérables.
Dorment dans la lumière et dans la majesté[2].


Le vers de notre poète est une perle, et la rime en est l’orient. Clair Tisseur a donc raison de conclure que la versification de Leconte de Lisle est classique, harmonieuse, parfaite, impeccable[3] ; il n’y a, par toute son œuvre qu’un vers faux, dans les Poèmes antiques :


                                  Le Péliôn s’éveille
Et secoue la-rosée attachée à ses flancs.


C’est dans l’édition de 1874 que les Parnassiens horrifiés découvrent cette faute ; dans l’édition définitive, rassurés, ils trouvent cette heureuse correction :


                                  Le Péliôn s’éveille
Tout frais de la rosée attachée à ses flancs[4].


Mais la versification n’est que la partie matérielle de l’inspiration, et, pour ainsi dire, les muscles et l’ossature de l’œuvre d’art ; reste, comme dit Régnier, le noble de l’ouvrage, la poésie pure, dirait M. l’abbé Bremond, ou plutôt la vie du vers créé par le génie. Là, Leconte de Lisle n’a pas de supérieur ; a-t-il un égal ? Même les vers de Hugo semblent à Huysmans mornes et sourds si on les compare à la forme magnifique des Poèmes barbares[5]. À côté de l’allure imposante et régulière des alexandrins dans les Poèmes

  1. Œuvres complètes, III, 391.
  2. Clair-Tisseur, p. 208.
  3. Modestes Observations, p. 113.
  4. Poèmes Antiques, 1874, p. 215.
  5. À Rebours, p. 250.